Culture
Il avait édité Jean Genet sans le censurerMarc Barbezat, mort il y a une semaine, a publié dès 1944 l'auteur des «Bonnes».
Il a tout vendu, et il est mort. Son faire-part de décès a autant de
discrétion et de panache qu'il en aura eu lui-même. Deux lignes dans le Carnet du Monde ce week-end et du Progrès de Lyon: «Marc Barbezat est décédé le 26 avril 1999 et il a été inhumé dans la plus stricte intimité.» Il aurait eu 86 ans au mois de novembre. Marc Barbezat, fondateur en 1940 de la revue L'Arbalète puis de la maison d'édition du même nom, a été le premier éditeur de Jean Genet, l'éditeur de Notre-Dame-des-Fleurs, le Miracle de la rose, les Poèmes de 1948, les Bonnes, le Balcon, les Nègres , les Paravents. Il a édité aussi Artaud (l'Arve et l'Aume et les Tarahumaras), Roland Dubillard (notamment les Diablogues). Il a publié des textes des auteurs les plus fameux de la littérature française d'après-guerre, de Michel Leiris à Boris Vian, de Paul Claudel à Violette Leduc. Son catalogue n'était pas épais, une cinquantaine de livres en cinquante ans, mais il valait de l'or, et plus encore. Gallimard l'a racheté en 1997.
Les trésors du pharmacien. C'est en mars dernier que la collection de Marc Barbezat (une centaine de lots, manuscrits, lettres de Genet comme d'Henri Michaux, éditions originales d'écrivains des XIXe et XXe siècles) a été dispersée à Drouot. La vente devait atteindre 4 millions de francs, elle en a rapporté deux de plus. Jean Genet était au centre des enchères, le clou étant la première version, datée de 1945-1946, du Journal du voleur, qui a triplé son estimation en étant adjugée 1,663 million de francs. Deux manuscrits du Miracle de la rose, dont la première version qui s'appelait le Mystère des enfants, ont approché le million.
Ces chiffres n'ont pas forcément intéressé Marc Barbezat. D'abord, après la guerre, il n'avait pas assez d'argent pour retenir les auteurs qu'il publiait en avant-première dans la revue (il en a arrêté la publication en 1948). Leurs livres étaient édités chez des concurrents plus parisiens, plus riches. Deuxièmement, la vente n'avait pas pour but de s'enrichir: il a fait fortune dans les produits pharmaceutiques, dirigeant un laboratoire dont il s'occupait encore il y a dix ans, à Décines, dans la banlieue de Lyon. Pensez à Jean Genet quand vous achetez de l'eau oxygénée, le nom de Barbezat figure sur l'emballage. C'est d'ailleurs en se réclamant de sa situation de pharmacien que le jeune éditeur, fin 1943, à la demande de Cocteau, se porte garant auprès du préfet de police pour qu'on libère Jean Genet, emprisonné à la Santé.
A ce moment-là, Marc Barbezat a déjà derrière lui l'édition d'un inédit de Rimbaud, l'Album zutique, que Pascal Pia lui a apporté en 1942. On est en pleine guerre, comment a-t-il pu publier, dans sa revue, des auteurs américains, et des gens comme Camus, Emmanuel, Aragon? «Les questions politiques ne jouaient pas, a expliqué Marc Barbezat dans un entretien accordé à Libération. Sous l'Occupation, Aragon était très à la mode. Je me souviens qu'en 1941 ou 1942 un ministre de la Culture, de Vichy donc, avait organisé en Bretagne une table ronde poètes-éditeurs. Tout le monde était venu, Pierre Emmanuel, Loys Masson, Pierre Seghers, Claude Roy, moi-même, sauf Aragon qui n'osait pas être vraiment là mais qui, comme par hasard, était justement à cinq ou dix kilomètres autour.» (1) Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas frôlé de sérieux ennuis, à cette époque.
Visite au prisonnier Genet. C'est à sa fiancée future épouse qu'il doit la rencontre avec Jean Genet. Olga Kechelievitch, actrice, lit chez un ami le Condamné à mort, poème écrit à la Santé et imprimé par un fabricant de faux tickets d'alimentation croisé par Genet en prison. Elle l'envoie à Barbezat, à Lyon, qui écrit son enthousiasme à Genet. Première lettre (perdue) de ce dernier: «Envoyez-moi 100 francs.» Deuxième lettre (première conservée), le 8 novembre 1943: «Mais avant tout je veux vous prévenir qu'une seule chose m'intéresse, c'est d'avoir de l'argent. On peut fort bien publier mon livre dans cent ans je m'en fous, mais j'ai besoin de fric.» Marc Barbezat se rend à la Santé le 30 décembre 1943. Voici comment il racontait la scène: «Il est arrivé de l'extérieur du bâtiment, car il était comme en résidence surveillée (il avait été transféré aux Tournelles). Il était tout rouge, très gentil, et, avec son pull-over blanc à col roulé, il m'a paru très homme de lettres. Je l'ai revu à la consultation d'Henri Mondor (célèbre ami des écrivains, ndlr) étendu avec une sonde (il a toujours souffert des reins). Mondor était en blouse blanche et rigolait. Il voyait bien que j'en profitais pour faire sortir de prison le manuscrit du Miracle de la rose. Quand Olga est venue le voir à son tour, dans une salle grouillant de monde, Genet a pris la valise dans laquelle on lui apportait des colis, l'a mise debout et a dit à Olga: "Asseyez-vous, comme s'il recevait dans son salon. Ce n'était pas parce qu'il était en prison qu'il devait manquer d'égards envers une femme.» Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose ont été publiés en 1944 et 1947. Jean Genet ne s'est jamais brouillé avec Olga Barbezat. Avec son mari, les relations était plus orageuses, du genre: «Vous vous obstinez, malgré moi, à imposer vos imparfaits du subjonctif" Ecrivez des pièces si vous vous voulez, mais ne salopez pas les miennes. J'écris comme je veux.» Il avait dédicacé l'exemplaire du Condamné à mort «A mon ami qui sera mon seul éditeur parce qu'il est jeune.» Ce n'est pas contradictoire. Désaccords avec Gallimard. C'est en 1966 que Jean Genet quitte définitivement L'Arbalète. Les difficultés ont commencé dès 1945, Genet demandant une somme astronomique pour Pompes funèbres. Gallimard va le publier avec un autre nom d'éditeur. Marc Barbezat aura été le premier à oser mettre le nom de sa maison sur un livre signé Jean Genet. Mais ce n'est pas seulement ça. Barbezat aura été celui qui n'a pas censuré Genet. Genet, en 1951, fait paraître ses oeuvres complètes chez Gallimard. Il apporte quelques modifications, mais surtout il accepte que certains passages soient caviardés ou amendés. Dans le Miracle de la rose, «on a remplacé le mot "bite par le mot "sexe, ce que je trouve lamentable», constatait Marc Barbezat. Moins de coupes, mais des âneries semblables dans Notre-Dame-des-Fleurs, «quand Genet parlait d'un personnage et donnait la mensuration de son sexe, Gallimard l'avait coupée». C'est seulement en 1993, dans la collection «Biblos», que Gallimard rétablit le texte.
«Entourloupette». Jean Genet n'avait rien publié depuis vingt-cinq ans quand il est mort le 15 avril 1986, alors qu'il corrigeait les secondes épreuves du Captif amoureux paru posthume chez Gallimard. En 1988, Marc Barbezat publie Lettres à Olga et Marc Barbezat. Dans l'édition de 1963 de l'Atelier d'Alberto Giacometti, à L'Arbalète, on pouvait lire une liste d'oeuvres à paraître. Elle, une pièce de 1955 où «Elle», c'est le pape, a paru en 1989, Splendid's en 1993, le Bagne en 1994. Sur la liste figurait aussi la Fée, dont on ignore le destin, et les Fous à propos de quoi, interrogé par Libération en 1989, Marc Barbezat avait répondu:«Là, il m'a escroqué, une petite entourloupette. Cela a été fait gentiment. Ce n'est pas grand-chose. Il n'a rien donné, en fait.» Le dernier message de Jean Genet est parvenu à Marc Barbezat le 21 février 1986, en réponse à un versement de droits d'auteur: «Tirage et chèque me paraissent tout à fait corrects». Le mot «paraissent» était rayé et remplacé par «sont». L'écrivain terminait par «Aimablement.» .
(1) Rencontre avec Marc Barbezat pour le cinquantième anniversaire de L'Arbalète, cahier Livres de Libération du 20 décembre 1990. Voir aussi le témoignage de l'éditeur dans l'enquête sur l'entourage de Jean Genet, cahier Livres du 7 avril 1988.
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